Le paysage intérieur – Psaumes tamouls

Marek AHNEE – Kavinien KARUPUDAYYAN (Traduction). L’Atelier d’écriture. Poésie. 2015. 9789994939503

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Kavinien KARUPUDAYYAN

4ème de couverture
Comme terre rouge et pluie battante. Ainsi se termine le bref quarantième poème du Kurunthogai. Outre de constituer le titre d’un roman indien à succès des années 90, ce vers a également été affiché dans le métro londonien. De nombreux lecteurs ont sans doute eu l’occasion de le lire et de l’apprécier sur une page partagée de mur en mur sur Facebook, tracée sur fond de parc new-yorkais, très loin du sol argileux du Tamil Nādu et de ses trombes chaudes et drues. Au pays tamoul, les vers du Kurunthogai se faufilent partout : dans les chansons de films, les discours de politiciens, sur les ardoises des écoliers, les murs des gares et les carosseries d’autobus. Grâce au Kurunthogai, le paysage intérieur se révèle, l’amour est partout sous toutes ses formes. À l’exception des érudits, très peu de ceux qui le citent ont lu en continu les quatre cent une fleurs constituant ce recueil lyrique. Mais la connaissance de deux ou trois de ces odes est déjà suffisante pour se sentir pétri de romance.

L’Atelier d’écriture – N° 27-28 – La poire dans le carafon

Gauthier STEYER. L’Atelier d’écriture. Roman. Septembre – octobre 2011. 1694-0792

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L’Atelier d’écriture
Gauthier STEYER

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4ème de couverture
Derrière mémé, la porte de la chambre s’est ouverte. Les gonds mal huilés m’ont fait vibrer les molaires. Quand Tatiana rentre dans la salle, je crois avoir une hallucination. Je ne la reconnais pas tout de suite. Grand-mère, sans se retourner, a tout vu dans son dos. Tatiana est déguisée comme un clown grotesque de carnaval. Elle porte des sabots au pied et avance lentement dans un bruit de bois qui traîne sur le parquet. Des bandes médicales mal posées lui font des jambes de momie. Elle a enfilé une robe de mémé volée je ne sais où. Ou plutôt si, elle l’a découpée grossièrement dans le tissu des futurs rideaux. Là-dessous, elle a calé au moins quatre coussins, pour bien tendre le textile sur de fausses hanches énormes. Un tablier noué dans le dos resserre le tout. Elle ressemble à un Bibendum ridicule. Elle dégage des effluves de schnaps et de sapin qui emplissent la pièce. Les linges doivent en être imbibés. Ses épaules et sa tête semblent minuscules comparées à la largeur des renflements sous sa robe. Elle porte sur le bout du nez des vieilles montures, peut-être celles de grand-père que j’ai récupérées il y a longtemps. Ses joues sont peintes au rouge à lèvres. Et pour finir le tableau, elle s’est collé sur la tête un torchon de cuisine à petits carreaux. Elle pose des baisers dans le creux de sa main et les envoie vers moi en soufflant dessus. Elle titube un peu. Ce n’est pas pour singer grand-mère. Elle est encore ivre. La vieille ne bouge pas, effarée. Grand-mère a toujours mieux vu derrière que devant. Elle fulmine et attend ma réaction. Les deux sosies me fixent, et elles me font très peur.
Gauthier Steyer

Le titre de ce premier roman fait allusion à une pratique très répandue dans les vergers européens pour confectionner des eaux de vie, jus de fruits ou apéritifs aromatisés. Après la floraison et dès que les fruits se forment sur une branche d’arbre, le paysan y accroche une bouteille ou un carafon suffisamment bombé pour contenir le fruit lorsqu’il aura achevé sa croissance et suffisamment léger pour ne pas casser la branche encore juvénile. De cette manière, une bouteille peut contenir un fruit bien plus gros que son goulot ne permet d’en faire passer, et le produit grandit en étant protégé de prédateurs tels que les oiseaux ou les gros insectes.
Pour ce roman, La poire dans le carafon situe l’univers du narrateur du livre, un garçon de 11 ans qui vit une enfance faite de jeux, de la découverte de la nature et des habitudes des paysans et des jardiniers. Un de ses principaux terrains de jeu est le jardin de son grand-père qui fabrique ce qu’il appelle des « poirteilles », les fameuses poires du carafon… Le grand-père donne une explication assez tentante à ces objets insolites : « Pour le plaisir de l’oeil et pour donner du goût, fiston. Tu verras comme c’est bon l’eau de vie. C’est de l’eau claire et sans microbe, plus pure que l’eau du puits. Ça désinfecte et ça guérit tout. Je vais te faire goûter un jour, j’te raconte pas. »
Le langage du petit narrateur est aussi émaillé d’expressions ou de raccourcis familiers comme « Ça fout les j’tons, j’te raconte pas ». Dans ses premières pages, le texte riche en descriptions, en situations et scènes de vie rocambolesques ou même burlesques, se déguste comme une bonne liqueur ou un sirop qui a le goût de l’enfance heureuse et insouciante, le goût des souvenirs bucoliques et joyeux. Mais l’enfant va grandir, il découvrira aussi la ville et le monde des adultes, avec un bonheur parfois très relatif.